Boire pour oublier  
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Gina Pane
Action de Gina Pane
(action psyché - 1974)
Ce n'était pas un inconnu. Il n'a pas usé de violence physique. J'ai dit non, je l'ai dit et répété. Et pourtant. Ce n'était pas une fellation. Ce n'était pas dans un parking. Ce n'était pas dans la rue. Ce n'était pas sur la plage. C'était dans un souterrain. Il ne m'a pas bâillonnée, et j'ai pu crier tout mon saoul. J'ai dit non, je l'ai dit et répété.

Et tout cela : tentative de suicide, automutilation, recours à l'alcool ou à la drogue, dévalorisation de soi, perte d'identité, longue psychothérapie, destruction des liens sociaux et familiaux, difficultés professionnelles, difficultés relationnelles, solitude, troubles sexuels, incapacité à retrouver une sexualité normale, un partenaire, pratique d'agression sexuelle sur autrui... tout cela, je l'ai vécu. Je n'ai échappé à aucune des conséquences typiques du viol, sans jamais me douter qu'il s'agissait de conséquences, que ceci était induit par cela.
Et ça me dégoûte de ne comprendre cela que maintenant.
De comprendre que c'est à cause de cela que je sniffais, que je buvais à outrance. Oublier, oublier. Que je me jetais dans les bras du premier venu. Oublier le corps. Le rouer, le faire passer sous des milliers d'autres, le réduire à rien. Refuser de manger. Me taillader la peau. lameCutter, lame de rasoir et alcool, encore. Ouvrir des plaies, là où ça fait mal, pour qu'au moins la douleur soit logique. Visible. Mon corps n'a pas de prix. Effectivement, zéro franc. A la rigueur, quelques grammes d'alcool dans le sang. Et l'homme de rencontre pouvait me traîner où il voulait, faire ce qu'il voulait de mon corps. Pourvu que j'oublie, que je ne m'appartienne pas, que ce ne soit pas moi qui décide, que je ne sois plus maître du jeu. J'abandonne. Je rends les armes. Faites de moi ce que vous voulez. On est là pour ça, non ? De toute façon, vous ne prendrez que mon corps, pas mon âme. Je leur faisais peur. Aux hommes. Je n'avais même plus d'âme. Aller jusqu'au bout, jusqu'au pire. En finir. Vite. Me dire que je n'étais plus bonne qu'à ça : la prostitution. Et la drogue. L'alcool. La bouteille de Whisky cachée dans le placard entre les jeans et les tee-shirts de post adolescente. Bientôt dix-huit ans, majeure et vaccinée. Je fais ce que je veux. Alors, partir effectivement. Définitivement. Pour Paris. Rejoindre les putes. Ou les clochards. Sous les ponts ou sur le trottoir, dans la rue de toute façon. La rue, ma mère, celle qui m'a tout appris...

Stop.
 
Niki de Saint Phale
Sculpture de
Niki de Saint Palle
(Crucifixion - 1963)