Voici le portrait que j'ai fait de mon père quand j'avais 20 ans :
   
Le Père Il était tellement un inconnu pour moi que je ne suis même pas sûre que ce soit lui sur la photo (peut-être son frère). Mais je l'ai choisie pour la dureté qu'elle évoque : un costume de militaire. Pourtant je n'ai jamais eu à le voir dans cette tenue.
J'ai caché ses yeux par deux perles. Son regard me faisait peur. Ce portrait m'effraie toujours un peu. J'ai l'impression qu'il porte malheur.

Le rose était sa couleur préférée. De sa part, je trouvais cela vicieux.
Les trois petits rouleaux en haut, symbolisent ses trois filles : comme trois lettres scellées, contenant des secrets bien gardés. Sous ces trois rouleaux, j'ai collé un extrait de journal qui parle de viol.

A gauche, une lettre de lui, sur papier blanc, montre son écriture petite et sérrée de maniaque. J'ai collé en travers un lambeau de toile émeri particulièrement rugueuse.

En bas, un morceau de nappe déchirée où des citations ont été écrites par ses frères lors d'un repas de famille. L'une d'elle dit : "Le courage donne la liberté". C'est exactement le contraire de mon père qui était faible et irrascible : emprisonné dans sa lâcheté.

Enfin, je l'ai encadré d'une large bordure noire, comme pour éviter qu'il ne s'échappe, ou pour en faire un portrait mortuaire.
Dans ce collage, tout est collé de biais. C'est à son image : rien de ce qu'il disait ou faisait ne "tenait debout". Ca n'avait aucun sens.