Mico
Texte écrit à l'âge de 20 ans, juste après avoir écouté ma mère
me raconter pour la première fois de ma naissance.
   
   Mico était une jolie fille, dynamique et forte, sportive et gaie, courtisée par plusieurs garçons. Celui qui l'eut su manifester une grande profondeur de sentiments et une tendresse attentionnée, qui fondirent comme neige au soleil une fois les noces consommées. Le mariage n'avait été pour lui qu'une façon rapide et efficace de se libérer de l'étau parental. Il se révélait être un intellectuel rêveur, doublé d'un enfant colérique. Par souci de sauver le couple, et souhaitant susciter le sens des responsabilités chez son époux, no bonheurMico voulut faire un enfant. La grossesse fut terrible : plus les mois passaient et plus le père de l'enfant à venir se révélait incapable d'assumer la chose, pire : il s'avéra qu'il n'aimait pas la mère.

 Mico pensa se jeter du haut de l'escalier raide, en pierre, qui descendait dans la noirceur de la haute cave inondée. Plusieurs fois elle restait éveillée la nuit, avec cette envie folle d'en finir, chancelante, le ventre gros en surplomb au dessus du vide, voulant se précipiter vers la mort. Mais peu à peu l'instinct maternel pris le dessus, et elle décida de vivre pleinement, de vivre avec cet enfant, pour lui, envers et contre tout.
 Le jour de l'accouchement, la douleur fut insoutenable, l'enfant tardait à venir. Le père attendait patiemment dehors, la mère se débattait.
L'enfant était emmêlé de plusieurs tours dans le cordon ombilical. Urgence ! On endormit la mère, on brandit le forceps... et l'on extirpa à la lumière du jour, un petit cadavre cyanosé et sanglant, que l'on tenta tout de même de réanimer par conscience professionnelle.

 Quand la mère se réveilla, tout était fini. Le père lui raconta rapidement l'accouchement. Mais le récit ne lui ôta pas cette sensation étrange de ne pas avoir mis l'enfant au monde. Elle se sentait absente, vidée et frustrée... quand elle aperçu soudain, dans le landau, mes genoux qui gigotaient.
 
forceps Le fait d'être "née pendue" m'a obsédé bien avant que je n'apprenne la réalité des faits. Etant enfant, je souhaitais confusément mourir, ou plus précisemment retourner d'où je venais, endroit qu'à mon sens, je n'aurais pas du quitter. Pour ce faire, je tentais de m'étrangler avec une cordelette. Je trouvais anormal d'être en vie, et je déteste toujours les médecins et la médecine (de m'avoir réanimée malgré tout ?)

Pendant des années, j'ai fais le même cauchemar incompréhensible où ma mère m'abandonnait : elle me tenait dans ses bras, elle était gigantesque (ou plutôt : j'étais toute petite, comme un BB) et c'était chaud. Puis elle se mettait à disparaître, et je la sentais s'éloigner, s'éloigner, tandis que je tombais dans un abîme vertigineux... pour me réveiller en sueur, tremblante de peur.
Ces cauchemars ont cessé le jour où elle m'a enfin raconté comment s'était passé l'accouchement. C'est aussitôt après que j'ai écrit ce texte. J'avais 20 ans.
Par contre, depuis que je ne fais plus ces cauchemars, j'ai le vertige, bien réellement.

Je reste persuadée (superstition ou réalité ?) que je me suis toujours "souvenu" de ma naissance et d'avant : du mésamour de mes parents, de la violence de mon père. Souvenirs qui ne sont que des sensations qu'il m'est impossible de bien comprendre seule, puisqu'ils datent d'une époque où, contrairement à maintenant, je n'avais pas de mots. Le récit de ma naissance a été un véritable choc. Et aussi une libération. C'est comme si je trouvais enfin les mots et le sens de ce que je ressentais depuis si longtemps au fond de moi.