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Les colères noires |
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Les colères de mon père :
violence verbale et incohérence |
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Mon père était un homme
violent. Au fil des années, la violence physique s'était
changée en simple violence verbale, et je continue de me demander
laquelle de ces deux formes de violence aurait été préférable.
Il était tel que tout un chacun le trouvait absolument charmant,
sans pouvoir se douter un seul instant du climat qu'il faisait régner.
Il piquait des colères noires, furieuses. A n'importe
quel moment. Pour n'importe quelle raison. Ca n'avait pas de lien
de cause à effet. Ca n'avait aucun sens. Il hurlait pendant
des heures, s'acharnant sur l'une d'entre nous, criant des propos
incohérents, tenant des raisonnements insensés sur lesquels
personne n'avait prise. On ne comprenait pas. On ne pouvait pas se
défendre. On n'osait ni s'enfuir, ni crier, ni pleurer.
Il cassait parfois des objets. Frappait rarement. Il s'arrêtait
quand il n'avait plus de voix, plus de force.
Après, il larmoyait pour s'excuser. Il disait qu'il n'aurait
jamais du faire d'enfants. Ni se marier. Naître. Vivre. Mais
il ne faisait jamais rien pour essayer de changer les choses. Il était
trop lâche. Au final, il était si pitoyable qu'on ne
pouvait pas lui en vouloir.
Alors qu'il disait non à tout, il lui arrivait parfois d'être
d'une permissivité inconséquente. Le pire, ce ne sont
ni les coups, ni les cris, ni les punitions. Le pire, c'est le non-sens.
Le reste du temps, il s'enfermait seul à l'écart, s'acharnant
au travail, et personne n'osait le déranger. |
Ma mère raconte que lorsque
je suis née, elle avait peur pour moi. Il s'était précipité
une fois sur le berceau et l'avait seccoué violemment. Mais
c'est tout.
En grandissant on recevait parfois des cliques et des claques. Je
mettais alors un point d'honneur à montrer que ça ne
m'affectait en rien. Même pas mal !
Plus tard, je ne me souviens que d'une seule baffe, isolée.
Sous le coup ma tête avait heurté le réfrigirateur.
Je me suis sans doute évanouie, puisque je reprends mes esprits
allongée dans le canapé et découvre mon père,
ahuri, n'a pas l'air de bien comprendre ce qui vient de se passer.
Je crois qu'en fait il n'avait pas conscience de ses gestes.
Par la suite, ses colères n'ont été que verbales.
Je ne comprennais pas très bien ce qu'il me reprochait. Une
fois, il hurlait que je ressemblais à l'une de ses surs
(décédée depuis longtemps). En me renseignant,
j'ai appris qu'elle avait été une femme intelligente
et de caractère, la seule a avoir pu faire des études,
et plutôt brillamment. C'était donc ça qu'il me
reprochait ? de ne pas être stupide et soumise ?
Un dimanche où je suis descendue en survêtement pour
l'habituelle promenade dominicale, il a crié : "va
t'habiller !" Lorsqu'il commençait, cela durait jusqu'à
ce que sa voix se brise. Je n'ai pas compris tout de suite :
il avait pris mon survêtement pour un pyjama (!)
Je suis assise dans la cuisine, seule avec lui, hurlant et gesticulant
dans la pièce, manipulant les objets avec fracas. Il a fendu
le bois de la table d'un coup de poing. Cette fois-là, j'ai
saisis la seule parole que j'ai comprise, et sur laquelle précisemment,
il se trompait. Je ne sais pas ce qui m'a pris : je lui ai répondu.
J'ai crié. Il est resté interloqué et n'a plus
jamais recommencé. J'avais 18 ans. |
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Dans mes souvenris
d'enfance, il y a souvent des orages grondants et menaçants...
(lire : "La peur déjà...")
En confrontant maintenant mes souvenirs d'enfant avec ceux de ma famille,
je me rends compte que j'ai tout simplement transformé les
colères de mon père en mauvais temps !
Et maintenant ? difficile d'avoir un tant soit peu d'ambition
dans la vie... mon seul souhait est qu'on ne m'embête pas, qu'on
me fiche la paix. Par réflexe, je ne me fais jamais remarquer :
discrète, silencieuse... pour ne pas attirer les foudres sur moi.
Et si je supporte très bien les critiques, mêmes injustifiées,
je ne supporte pas les compliments. Je suis perpétuellement
dans la crainte de la prochaine colère, le prochain orage,
qui surviendra, nécessairement et inévitablement. |
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