Le Pere
  Enfermée  
     
  L'enfermement, les interdits  
  A la maison, tout était interdit : la télévision, le téléphone, la musique, les amies, les sorties, les vêtements... tout était prétexte à des colères. Il fallait négocier, colère après colère, à l'usure, un peu de liberté.
Le monde était interdit.
Mon père avait dit de moi : "plus tard elle sera sociabilisée, mieux se serra !" et il reprochait à ma mère ses tentatives d'éducation.
Il nous faisait vivre comme au temps jadis, nous enfermant dans un autre temps : c'était les années 80, mais tout mon environnement ressemblait aux années d'après-guerre, l'époque de sa propre enfance.

Tout était réglementé, et il fallait obéir. Se soumettre. Il n'y avait pas le choix. Il n'y avait pas de discussion possible. La moindre demande s'opposait à un "non" catégorique qui s'enflait systématiquement en colère.
Il y avait parfois des punitions où l'on était enfermée dans la cave, sans lumière, quand j'étais petite, ou, plus grande, dans ma chambre, sans manger. Ca n'avait pas nécessairement de lien de cause à effet.

Lorsque, adolescente, je voulais inviter une copine, il se mettait à hurler que la maison, "c'est pas un moulin ouvert à tous vents ! C'est pas un hôtel de passe ici !" et ça voulait dire non. La seule fois où une amie de classe est venue manger à la maison (j'avais 11 ans), elle a trouvé mes parents charmants. Quelques jours plus tard, les professeurs m'ont placée seule au premier rang, comme pour me surveiller. Sans que je le sache, mon père était allé leur demander de m'éloigner de mes amies qu'ils considérait être de mauvaises fréquentations (sans doute parce que, comme les autres filles, elles portaient des jeans et des tennis). Elles ont supposé que j'avais raconté des mensonges à leur sujet à mes parents, et m'ont tenue à l'écart pendant tout le reste des années collège : insultes, coups, boulettes de papier mâché, etc...
Evidemment, je n'ai jamais été invitée. Il n'y avait pas d'autre sortie que la promenade dominicale. Pas d'autres visites que celles familiales, ou parfois le curé, invité à manger, après la messe.

autoportrait autistique



 
 
Lorsque je décris l'enfermement, je crois que j'exagère un peu les faits. Et puis, être privée de sortie, ou même enfermé à double tour, ce n'est pas le pire.
L'enfermement le pire, celui dont je souffre encore, est mental. Il est bien difficile de le décrire. C'est l'impossibilité d'entrer en contact avec le monde, de communiquer. C'est le repli sur soi-même, pour éviter de devenir folle. C'est l'habitude que j'ai alors prise de m'enfuir mentalement, dans un univers imaginaire, intérieur. C'est la difficulté, encore actuelle, que j'ai à en sortir, à apréhender le monde. C'est que je n'ai jamais tout à fait les pieds sur terre. C'est la difficulté que j'ai à communiquer avec mes semblables : je ne suis pas une bavarde ; je ne sais pas parler, me confier, échanger.
C'est cette manie que j'ai parfois de m'enfermer moi-même pendant plusieurs jours, dans manger, sans sortir, sans répondre au téléphone, sans parler... parce que je connais bien cela et qu'en cas d'angoisse, ça me rassure. Et cette autre manie que j'ai, de fuir, d'avoir toujours envie de m'en aller lorsque je commence à m'installer dans une situation : la peur d'être à nouveau enfermée.