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Mon père est longtemps resté une
chose inconnue pour moi. Une chose. Même pas un homme.
Je ne me souviens pas avoir jamais ressenti de tendresse, d'affection
ou d'admiration pour lui, mais toujours de la crainte. Il était
insaisissable, incompréhensible, imprévisible. C'était
une drôle de chose qu'on était forcée d'avoir
avec nous.
"Pourtant, il n'a rien fait..."
Je n'ai cessé de répéter à son sujet
qu'il n'avait rien fait. Sans comprendre pourquoi j'avais mal. De
quoi j'avais peur.
Il ne nous battait pas. Il ne nous a pas violé.
Non, effectivement : il n'a rien fait. Rien. Pas même
être père. Il n'a rien fait, rien dit, à
chaque fois qu'il a surpris les abus sexuels dont j'étais victme.
Il a brillé par son absence, par sa lâcheté,
sa faiblesse, son impuissance.
La terreur
Mon père, c'était une chose qui faisait peur.
Je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un père.
Il faisait régner la terreur autour de lui, à la maison.
On marchait sur des ufs. On était pétrifiées
de peur. Jusqu'à la contracture musculaire, la crampe.
A l'extérieur, il passait pour un homme charmant. A la maison,
on n'osait pas parler. Ni penser. Ni respirer. Ni grandir. Il a
vampirisé mon enfance.
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