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La rue |
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J'ai
grandi dans la rue.
La rue où l'on baise, où l'on chie dans les caniveaux,
entre deux voitures, où l'on pisse dans les cours privées.
La rue où l'on déflore les filles faciles sur une poubelle,
où l'on déniaise les vierges dans une porte cochère.
La rue où les casinos laissent échapper queue de pie
et femme de marin alcoolique.
La rue où les putes ne s'exhibent plus, racolant dans les bistrots
en bout de comptoir.
La rue avec la mer au bout, comme une échappée, avec
son sable englué de capotes percées, de frites et de
petites cuillères en plastique.
La rue des voleurs de bagnoles, des dealers de shit, de crack.
La rue des filles pré-pubères qui se perdent tôt
ou tard, malgré leur certitude de paraître majeures.
La rue où l'on partage une banane, un yaourt sans cuillère
avec le clochard qui pue.
La rue et son asphalte parcouru pieds nus, ses objets qui traînent,
qu'on découvre petit matin : bas, vieux hot dog, sac papier
du mac do, une tennis, pas deux... et ses cadavres de bière,
whisky, vodka, alignés au bord du trottoir, ou tombés,
visés par les cailloux, comme dans un jeu de massacre à
dix sous.
La rue où l'on pleure, où l'on chante à tue-tête,
où l'on rit, où l'on crie.
La rue où l'on perd son pucelage entre une cuite et la suivante,
comme on perd un papier sale collé à la semelle.
La rue et ses curés en soutane qui passent aux heures décentes,
et ses flics qui patrouillent, ses mères de famille qui l'envahissent
de leurs landaus, croyant se l'approprier.
La rue et ses skinhead qui traînent au loin, en meute, avec
leurs chiens-loups.
La rue et ses animaux errants, chats de gouttière, chien, sac
à puce, pigeons, rats volants...
La rue où parfois une touffe d'herbe verte et jeune, parfois
même une fleur, ont l'audace de pousser dans une fissure, entre
brique, pavé et bitume.
La rue où il pleut, où il vente, où la nuit tombe
et le jour se lève.
La rue où les uns pavanent tandis que les autres courent d'un
bout à l'autre, cherchant un refuge, leur terrier.
La rue des sandwichs, des crêpes, des frittes, des bières
et des cigarettes.
La rue des cuirs, des tatoués et des motards.
La rue, cette jungle hybride où les plus forts dévorent
les plus faibles. |
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