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Stop
Changement de programme |
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Stop. Changement de programme.
Ils sont là, devant moi, dans ce café. Ils me posent
des questions. N'insistent pas. Ils ont bien compris que je faisais
une fugue. Que je ne sais pas où dormir. Ils ont un fils du
même âge. Ils m'emmènent chez eux. Me montrent
le frigo, la salle de bain, me préparent un lit. Ils sont là
devant moi, et me tendent les clés de leur maison et disent :
"Demain, nous partons en vacances. Nous prenons la route cette nuit.
Nous te confions la maison. Reste aussi longtemps que tu en auras
besoin. Tu rentreras chez toi lorsque tu en auras envie." C'est la
première fois que l'on me fait confiance. Je reste.
Il est là. Les jours passent. Il y a quelqu'un. Evidemment,
je recommence. Avec lui aussi. Après tout, c'est un homme comme
un autre. Pas la peine de tourner autour du pot. Il s'arrête
soudain : "faut pas le faire si tu n'as pas envie". Il ne me touche
pas. Ne tente même pas de me toucher. Il refuse. J'enrage. Il
me parle. Je me mets à parler aussi. Je ne dis rien, mais je
parle. Je prends soin de la maison. J'apprends à faire à
manger. A tenir les choses et les lieux propres. Ou plutôt,
je réapprends. Et il y a quelqu'un. Je n'y tiens plus. Je refais
mon sac. Mais je ne pars plus pour Paris, ses trottoirs ou ses ponts,
rejoindre les putes ou les clochards. Je décide d'aller chez
mes grands-parents. Auprès d'eux, je n'aurais plus rien à
craindre. |
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Puis, plus tard, je le
revois. Je ne bois plus. Moins en tout cas. J'aime le voir. Le revoir.
Sa main. Il me tient la main. Nous ne parvenons pas à faire
l'amour. Ca fait trop mal. Mais il me tient la main. Comme personne
avant lui. On dit que les putes n'embrassent pas, pour éviter
de tomber amoureuses. Ne pas mêler sexe et sentiments. Moi,
la pute qui a raté sa vocation, ou plutôt sa carrière,
c'était la main mon point faible. Je lui dit que je suis amoureuse.
On arrive à faire l'amour. Ca ne se passe pas très bien.
Dès que je ferme les yeux, c'est un autre que je vois. Je me
recroqueville dans un coin. Ne bouge plus. S'il m'approche, j'hurle.
S'il me touche, je n'existe plus. Je lui parle. Nous parlons beaucoup.
Parfois, j'ai mal. Je fais des crises de tétanie. Ca le rend
fou. Il me secoue, me gifle. Il est là. Il y a quelqu'un dans
ma vie. Et plus il est là, plus il compte, et plus les crises
sont violentes. Il appelle les urgences. Je prends des calmants. Nous
vivons ensemble. Insomnies. Le matin les yeux cernés. Je ne
sors plus. Reste enfermée toute la journée, les volets
fermés. Le soir, quand il rentre, je lui mens. Nous faisons
l'amour. Nos corps réussissent à inventer un langage
qui ne ressemble à rien de ce que j'ai connu auparavant. Je
l'aime. Je suis tout le temps malade, des trucs affolants, aussi spectaculaires
qu'éphémères : crises d'eczema, urticaire,
lumbagos... Médecins. Psychologue. Nous faisons l'amour, souvent,
énormément. Avec beaucoup d'amour. Puis j'éprouve
du plaisir. Du désir. Follement. C'est un pléonasme.
Puis un soir, sans m'y attendre, je jouis. Je pleure. Puis, beaucoup
d'autres soirs. Ca fait quatre ans. Nous sommes fiancés. J'arrive
à dire oui. Oui, je veux. Oui, je l'aime. Nous allons nous
marier.
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Peinture
de Gustav Klimt |
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Puis, un
jour, il doute. De lui. Pour la première fois c'est lui qui
doute. Je ne sais pas quoi faire. Je ne prends plus d'antidépresseurs,
je tiens sur mes deux jambes, il peut s'appuyer sur moi, mais je ne
sais pas quoi faire et je m'y prends mal. Rien ne va plus. Je m'en
vais. En trois jours, j'oublie tout. Et j'arrive à Paris. Dans
la rue. Seule, avec mon sac sur le dos. |
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