|
|
|
|
|
Souterrain |
|
|
|
|
|
Dans mon souvenir
il y a eu 5 viols, mais ça s'est mélangé
et je ne parviens plus à les distinguer les uns des autres,
ni à les remettre dans un ordre cohérent. Je sais seulement
que c'était pendant l'hiver. |
|
|
|
|
|
J'avais encore
refusé d'aller sur la promenade, sur les bancs. Il m'avait
fait faire un détour, pour finalement m'amener dans un souterrain.
Il m'a déshabillée. Il avait étalé mon
manteau au sol, sur la terre battue. Je ne sais pas dans quel état
j'étais. Je crois que je ne comprennais pas encore. Je n'ai
compris ce qui se passait qu'au moment où il a essayé
de me pénétrer. Je me souviens d'avoir pris conscience
du lieu où je me trouvais à ce moment-là seulement :
un endroit loin de tout, où je pouvais toujours crier et appeler
à l'aide et où on ne m'entendrait pas. C'est de l'ordre
du réflexe à ce moment-là : la peur, comme
un danger de mort. Je crois que ça le faisait rire. Il n'y
arrivait pas. Il a dit : "Ben évidement, si tu serres
les cuisses, on ne va jamais y arriver !"
J'étais raide de peur. Pétrifiée. Incapable de
bouger, de penser. Je me souviens de ses doigts (ses ongles) qui me
rentraient dans la chair, à l'intérieur des cuisses,
pour me forcer à les écarter.
Et puis, une très grande douleur, aigue, comme une blessure
soudaine, quelque chose de grave. Sauf qu'elle provennait et
c'est cela qui est terrifiant de l'intérieur du
corps. L'impression d'être déchirée. Ce qui est
choquant, c'est que c'était la première fois que j'éprouvais
l'intérieur de mon corps. J'avais à peine conscience
que j'avais un "intérieur".
Après ça, encore pire : il y a eu des mouvements
de va-et-vient. Je ne comprenais pas. J'ignorais cela. Je croyais
avoir atteint le pire, mais chaque mouvement remettait ça,
comme si on fouillait une plaie. J'avais l'impression que je devenais
de la charpie, de la viande hachée.
Il fumait tranquillement une cigarette. Il a eu une plaisanterie,
il avait du voir ça dans un film : "alors, heureuse ?" |
|
|
|
|
|
Après,
il fallait tout simplement aller en cours, et vite, pour ne pas être
en retard. Je devais tirer une tête effroyable. J'étais
complètement destabilisée. J'avais du mal à marcher.
Mon manteau était tâché de sang. Ca n'a pas échapé
à ma mère, le soir, quand je suis rentrée du
lycée. J'ai menti, inventant que j'avais saigné du nez,
oui, beaucoup.
Ma première urgence, c'était d'aller vérifier
mon corps. Voir si je n'étais pas blessée. Me laver.
Essuyer le sang qui continuait de couler. Désinfecter avec
une lotion qui ne brûle pas. Comme une bonne petite infirmière.
J'ai renouvelé les soins plusieurs fois par jour parce que
ça continuait de saigner. Ca s'infectait. Ca s'était
même mis à puer.
J'étais en état de choc. Et je le suis restée
pendant des mois. Ce qui lui a permis de recommencer. Il
parlait d'un "dépucelage en plusieurs fois", parce
que j'ai saigné à chaque fois. J'ai eu peur d'être
enceinte. Pourtant, je ne sais même pas s'il a éjaculé :
j'étais tellement ignorante de la sexualité. Une fois,
il m'a annoncé amusé qu'il venait d'avoir une "chaude pisse"
(MST). Je n'ai jamais consulté : je me débrouillais
seule, dans le plus grand secret. |
|
|
|
|
|
Il ne me serait
pas venu à l'esprit d'en parler. Je pensais que tout le monde
connaissait de semblables souffrances et les gardait pour soi. Se
plaindre était banni à la maison.
Ce qui m'a fait réagir ? Une amie m'a raconté qu'il
l'avait forcé à une fellation. C'était le choc :
non seulement il abusait de moi, mais aussi d'autres ! Je lui
ai dit que je ne voulais plus le voir. C'est là qu'il y a eu
une dernière fois. Qu'il m'a forcée, poussée,
bousculée. Il y a un moment aussi, où on se dit qu'il
vaut mieux laisser faire, parce que plus on se défend, plus
ça fait mal et plus on risque de mourir. Lui disait des choses
du genre : "t'aimes ça, salope ! Oui, crie encore !"
C'est en entendant ses mots que je me suis rendue compte que j'étais
en train de crier. De douleur. La gueule dans la terre battue du souterrain :
cette fois-là, il m'avait prise en levrette. Et sauvagement.
C'était la dernière fois pour moi, mais ensuite il a
entrepris ma seconde sur, de la même façon, très
progressivement. Il avait le fantasme de "se faire les trois
surs". Ma sur soutient que "non, elle n'a pas
été violée", mais ce qu'elle raconte est
de l'ordre du viol. Elle croit encore que c'est de sa faute :
puisqu'elle était vulnérable, c'était normal
que cela lui arrive, pense-t-elle. Seule la dernière lui a
échapé. Il a très vite compris qu'il n'y arriverait
pas : elle était beaucoup plus épanouie et avait
déjà sa vie propre. Il
s'est donc interessé à ses amies. Moi ou une autre...
apparemment, rien ne l'arrêtait. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|